PROFESSIONALISATION DU FOOTBALL TOGOLAIS: UNE PATATE CHAUDE ENTRE LES MAINS DES ACTEURS?

Photo prise à l’issue de l'atelier de lancement du processus de professionalisation le 27 Janvier 2023 à l'hotel Sarakawa.
Photo des participants à l’atelier du 27 janv 2023

Le sujet est sur toutes les lèvres ces derniers temps surtout après l’atelier de lancement de la phase operationnelle du processus de professionalisation le vendredi 27 janvier à l’hôtel Sarakawa. Dorénavant on comptera 14 clubs en ligue pro1 et 16 en ligue pro 2 soit un club par préfecture comme proposé par les experts, préfectures qui attendent d’être délimitées et qui seront sans nul doute différentes des 39 que compte actuellement pays.

En toute franchise, le sujet est immense et nous touche tous qu’on soit acteur direct ou indirect. Il faudrait donc nous départir de nos émotions, de nos divisions de tout genre et nous plancher véritablement sur ce virage que s’apprête à prendre notre football.
En se référant à la proposition des experts d’imiter le modèle français et en proposant la répartition des clubs par préfecture, l’on se demande si c’est le meilleur exemple qu’ils ont pu trouver surtout lorsque nous savons que des préfectures ont déjà deux clubs en D1 ou D2, ou encore que certains de nos clubs se regardent en chiens de faïence. L’on attend de voir par quelle alchimie la fusion va s’opérer ou mieux quel club va accepter disparaître du paysage footballistique au profit d’un rival. Peut être devrions-nous encore patienter et voir se réaliser le miracle togolais…

Cette réforme annoncée du football togolais nous replonge dans les années 70 ou d’autres réformes avaient entraîné la création de nouvelles équipes comme Semassi, Gomido, Asko etc mais aussi fragilisé d’anciennes à l’instar de la Modèle, l’Entente 2, de l’Etoile Filante, Aiglons etc et dont certaines ont depuis lors tous les maux pour reprendre leur place sur l’échiquier national. La subsistence même de nos clubs est une problématique récurrente. Nous vous ferons économie de vous replonger dans l’histoire ou vous faire revivre ces épisodes où des clubs déclarent forfaits ou libèrent des joueurs pour alléger leurs dépenses. Même amateurs, nos clubs sont budgétivores. Pour un championnat classique à 14 clubs et des matches de coupe l’on doit en gros tourner autour de 300 à 400 millions avec une rémunération moyenne de 100 000 frs/joueur et pour un effectif de 28 joueurs. Avec des joueurs qui gagnent plus de 100 000 frs et un effectif plus dense le budget serait évidemment plus conséquent. Il faudrait ici féliciter ces dirigeants qui s’époumonent à faire vivre leur clubs. Dieu seul sait où ils trouvent les fonds…

Avec la professionalisation, où il faut tenir compte du salaire des joueurs, des staffs technique et médical, des agents d’entretien des matériels sportifs, des employés de direction, des dépenses de bureau, des coûts d’organisation des matches, des activités de pré-saison etc ce budget devrait être multiplié par deux et tourner autour 600 ou 700 millions par saison, sans tenir compte des dépenses qu’occasionnerait une participation en coupe continentale, les transfers de joueurs, les préparatifs de pré-saison. Pour des clubs amateurs qui ont toujours eu de la peine à boucler leur budget, il y a du souci à se faire car même en mutant en club pro, les soucis ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Mieux, ils seront plus épineux. Face à ces difficultés prévisibles de trésorerie, l’assistance financière (et technique) de l’état serait une bouffée d’oxygène. Elle soulagerait énormement les clubs, surtout leurs présidents-mécènes qui portent tout ou partie du poids des dépenses. Cependant cette aide suscite des interrogations. Quel sera son montant? Quelles seront les conditions de son décaissement? Quelle sera la limite d’ingérence ou d’intervention de l’état dans sa gestion? Voilà quelques questions auxquelles il faut apporter des réponses claires et suscintes et j’espère que le document sera explicite là-dessus. En tout état de cause, cette manne ne sera pas gratuite. Il faudrait justifier son utilisation et les mauvais gestionnaires devront s’attendre aux sanctions de l’état, même si pour l’heure ce dernier a du mal à reprimander ses fonctionnaires indélicats. L’autre inquiétude de cette aide est sa durée, 3 ans. Pour l’instant l’on semble l’ignorer et pourtant elle est cruciale et mérite qu’on s’y attarde. La plupart de nos clubs n’existe que de nom. Les prémices de leur transformation ou développement sont encore embryonnaires faute de vision, de projets viables, attractifs et surtout de moyens. Tout est à reconstruire si bien que ces 3 années d’allaitement financier sont trop courtes pour permettre à nos club-bébés de devenir autonomes. (Une période de 5-7 ans serait souhaitable). La professionalisation est un chemin long et difficile à emprunter. Il faudrait une vision, de l’abnégation, de la détermination, et disposer de resources humaines et financières pour y arriver. Donc convaincre des personnes morales ou physiques à adhérer à vos projets surtout au début sera extrêmement difficile. De facto, nos clubs éprouverons toutes les peines du monde à voler de leurs propres ailes après la période d’accompagnement. L’état risque de lâcher des clubs en plein vols et ce sera la catastrophe assurée. Si donc il devrait avoir une aide financière, l’état ferait mieux de la diriger vers la construction d’infrastructures sportives de qualité dans toutes les préfectures. (Les autres disciplines outre le football doivent aussi êtres prises en compte). Elles (ces infrastructures) seraient ainsi plus rentables si elles sont bien gérées. Dans le cas contraire, en arrêtant son assistance financière au bout de 3 ans, l’on se demande comment les clubs pourront combler ce vide, eux qui ont déjà de la peine à boucler leur budget. Partant des estimations budgétaires de 600-700 millions, les clubs qui tirent la quasi-totalité de leurs récettes de la billeterie doivent rassembler 30 millions et plus par match à domicile(13 matches de Ligue Pro et entre 7-10 matches de coupe). Vous me démanderiez comment cela est possible sur nos stades de 2500 places ou 5000 places. Voilà donc pourquoi nous préconisions un peu plus haut que les aides financières annoncées soit dirigées vers la construction d’infrastructures de qualité. Avec un stade de 20 000 places et le prix moyen du ticket fixé à 1000frs, les clubs pourraient faire une recette de 20 millions. Encore que sur ces recettes, la FTF, la ligue, les districts viendront se servir. (En jouant sur les prix des tickets on peut augmenter ces récettes). Les clubs seront naturellement obligés de se tourner vers d’autres secteurs lucratifs et prometteurs afin de non seulement boucler leur budget mais aussi dégager un profit pour les investisseurs. Ah oui! Les clubs, mieux ces sociétés sportives ne doivent pas perdre la principale raison pour laquelle elles sont crées et pour laquelle elle sont sur un marché, celle de faire du profit. À l’image de certains grands clubs du monde, ils seront dès lors appelés à soigner leurs images auprès de leur public, dégager des dividendes pour les investisseurs tout en travaillant pour en attirer d’autres et bien sûr payer les taxes à l’état. Parlant toujours du financement des clubs il est impératif de mettre sur pied un organe qui sera chargé d’organiser les compétitions et redistribuer des redevances des droits TV aux clubs. Ailleurs ce sont les chaînes de television qui font le pied de grue pour arracher les droits TV car ce sont des marchés juteux… Pour la ligue Pro les droits peuvent atteindre des centaines de millions de nos francs, de quoi faire pâlir des gens, attirer des vautours et l’immixtion de l’état dans cette économie naissante, chose que nous voyons d’un mauvais oeil. Le rôle de l’état devrait se limiter à la mise en place d’un cadre légal et approprié, la mise en place de structures de contrôle, et la construction d’infrastructures. Au delà, il peut devenir un obstacle au développement du football. C’est tout juste comme dans l’économie où l’intervention de l’état doit être limitée afin de laisser au marché le soin de déterminer son propre équilibre. Les sociétés qui ne performent pas bien vont disparaître au profit d’autres. Si donc les clubs ne sont pas bien gérés ils risquent de disparaître des ligues supérieures et se retrouver en bas de l’échelle.

La professionalisation de notre football est une bonne chose. Elle permettra aux acteurs de vivre de leur metier et génèrera en parallèle une économie avec des hotêliers, des restaurateurs, des assureurs, des sponsors etc. Cependant elle doit être menée avec beaucoup de tacts. Car à l’instant t elle ressemble à une patate chaude déposée dans les mains encore nues des acteurs. Et s’ils ne peuvent pas la tenir que feront-ils?