INTERVIEW/ERIC FABRE: « LE CHOIX DES BONNES PERSONNES DÉVOUÉES ET MOTIVÉES RESTE FONDAMENTAL POUR LA REUSSITE D’UN PROJET ET DE L’ENTREPRENEURIAT ».

De la g vers la d, feu JJ Rawlings, Marcel Dessailly et Éric FABRE en 1999 à Accra

Dans un long et riche entretien accordé à la rédaction de Afrique Terre de Cultures, Éric FABRE, le president de l’Association Black Stars International et initiateur du tournoi de l’UEMOA est revenu sur ledit tournoi, les raisons de son arrêt brutal et ses conséquences sur la jeunesse et les prestations des Éperviers. Suivons plutôt.

Mileck Agbokou: M. Eric Fabre bonjour et merci d’avoir accepté répondre à nos préoccupations.
Je rappelle que vous êtes un togolais de la diaspora, vous avez une grande passion au football. Vous êtes le président de l’Association de black Stars International depuis le 28 mai 1983 vous avez reussi à rassembler les Stars du football au service de l’intégration. Comment êtes vous arrivé à une telle initiative et pourquoi ?

Eric FABRE: Pour commencer, permettez-moi de rendre un hommage appuyé à Mr Séyi Mémène, ancien Président de la FTF et ancien Vice-président de la CAF qui nous a quitté hier. Le Président Mémène est un ami dans le monde du football. Ceci étant, ma passion pour le football ne date pas d’aujourd’hui. Elle date de mon enfance aux côtés de mon père. Certains se souviennent de <<TERRAINVI>> ce que nous appelons « Petit Terrain ».. Le cœur du football loméen se trouvait à cet endroit. C’était sur le stade de « TERRAINVI » où se déroulaient les entraînements des grandes équipes de l’époque. Et moi-même je tapais dans le ballon à TERRAINVI. Cette passion m’avait déjà poussé à créer une Fédération nous permettant d’organiser des coupes de vacances contre d’autres équipes comme Déo-Gracias, Réveil, Onze-Merveilleux, Etoile d’Or…. et j’en passe. C’étaient des moments pathétiques, formidables et inoubliables pour les enfants passionnés de football que nous étions.
Arrivé en France en 1968, j’ai découvert un environnement favorable me permettant de laisser libre court à ma passion. D’où la création de l’association Black Stars avec le Tournoi de Football portant le même nom. La vocation de ce tournoi consiste à faire participer les équipes venues d’Afrique, des Départements et Territoires d’Outre-mer et de la France métropolitaine. Le succès était tout de suite au rendez-vous. Je n’ai fait que transposer les réalités de Béniglato à Paris. Ce qui veut tout simplement dire que je n’ai aucun mérite.

Mileck AGBOKOU: Vous avez reussi à faire un lien avec l’Afrique et de nombreux talents notamment Georges WEAH l’actuel Président du Liberia, Sylvain WILTORD, Marcel DESSAILLY sans oublier Adedji PELE pour ne citer que ceux là. Le même projet se poursuit- il aujourd’hui ? Si oui vous n’avez pas eu le temps de valoriser une gloire togolaise comme ce fut le cas quand DESSAILLY avait remporté la coupe du monde avec la France et vous l’aviez accompagné au Ghana chez le Président JJ RAWLINGS ?

Éric FABRE: Il faut plutôt parler du lien avec l’Outre-mer car étant togolais, le lien avec l’Afrique était une évidence. Dans mon enfance au Togo, j’ai eu la chance de côtoyer des jeunes français, antillais et d’autres nationalités. La magie du football, m’avait déjà ouvert sur le monde entier. Grâce au football, je suivais toutes les rencontres internationales à la radio. Arrivé en France, la rencontre de personnes venues d’horizons différents va me faciliter la tâche avec la création du Black Stars représenté par cinq étoiles noires, une étoile pour chaque continent. L’adhésion des amis et grands joueurs tels les Toko, Valdo, Milla, Boli, etc…a été totale. J’ai toujours refusé d’y faire entrer la politique. C’est vrai aussi que j’avais eu la chance de rencontrer beaucoup d’hommes politiques à qui j’avais pris l’habitude de dire « que le Sport rassemble et que la Politique divise ».
Concernant le Président Jerry Rawlings, c’était un grand Chef d’Etat qui aimait le sport et le football. Après la victoire de la France à la Coupe du Monde 98, il est vrai que j’ai amené Marcel Desailly avec la Coupe du Monde à Accra. C’est dans ce cadre que j’ai été amené à le rencontrer. Je l’ai toujours considéré comme un grand frère. Sans le coronavirus, j’avais programmé de lui rendre visite ce mois de novembre. Je crois que c’est France-Football, qui a écrit tout dernièrement que : « Le Black Stars d’Éric Fabre demeure l’entité qui a amené la Coupe du Monde en Afrique pour la toute première fois. C’était en 1999 ». Concernant le jeune Tolisso, puisque c’est certainement de lui que vous faîtes allusion, je n’ai même pas osé m’en approcher. Je n’ai pas pensé que je pouvais encore être utile pour l’amener dans son pays d’origine.

Mileck AGBOKOU: Quel regard portez vous aujourd’hui sur le tournoi de l’UEMOA que vous avez initié depuis 2007 à ouagadougou via Abidjan. Vous retrouvez-vous maintenant dans ce projet dont vous êtes le concepteur?

Éric FABRE: Le Tournoi de l’UEMOA a été la continuité d’une opération menée avec la région Bretagne en direction des entrepreneurs économiques des huit pays de l’Espace UEMOA. Lorsque je suis allé voir le Président de la Commission de l’UEMOA, j’ai toujours pensé que le Tournoi des Huit Nations que j’avais déjà essayé au Niger était une bonne idée de développement économique, sociale et d’intégration. L’UEMOA étant elle-même composée de huit pays, j’ai aussitôt trouvé une oreille attentive auprès du Président de la Commission Soumaïlla Cissé. Mais avant d’y arriver, j’ai eu deux ambassadeurs togolais dans l’ombre. Le Général Séyi Mémène, ancien vice-président de la Confédération Africaine de Football et Horatio Freitas, ancien Ministre des Sports du Togo. Ces deux personnalités togolaises ont ensemble rencontré, sur ma demande, le Président Soumaïlla Cissé pour appuyer la présentation de mon dossier. Vous me donnez l’occasion de renouveler, une nouvelle fois, ma gratitude à ces deux amis. Le Vice-président de la CAF, le Général Mémène et le Ministre Freitas m’ont épaulé pour l’intérêt supérieur du SPORT et du FOOTBALL.
Ils avaient compris le bien-fondé et l’intérêt du projet au-delà de ma personne. Ils ne s’étaient pas arrêtés ni à mes origines, ni à mon nom, ni à la couleur de mes cheveux. Depuis, le Général Mémène et moi, avons gardé de très bonnes relations jusqu’à son décès. Nous échangeons à cœur ouvert, aussi bien sur les questions sportives que politiques. Quant à Horatio Freitas, c’est pour moi un grand-frère. La première édition du Tournoi de l’UEMOA a eu lieu en 2007 à Ouagadougou avec Laurent Pokou comme parrain ; en 2008 à Bamako au Mali avec Jean Tigana comme parrain ; en 2009 à Cotonou avec Jimmy Adjovi-Bocco comme parrain ; en 2010 à Niamey ; en 2011 à Dakar avec Pape Diouf (aujourd’hui décédé) comme parrain ; en 2013 à Abidjan et en 2016 à Lomé avec Tommy Sylvestre comme parrain. Cette même année 2016, je serai écarté en arrivant dans mon pays le Togo.
J’ai bien entendu essayé de comprendre et j’ai compris. Je continue d’appliquer ma formule simple et réaliste que « LE SOPRT RASSEMBLE ET LA POLITIQUE DIVISE ». Sans faire du bruit, je me suis retiré sur la pointe des pieds laissant la place aux autres. Car personne n’est indispensable et j’avais seulement essayé de me rendre utile. Je regrette qu’une si belle initiative se termine ainsi. Le choix des bonnes personnes dévouées et motivées reste fondamental pour la réussite d’un projet et de l’entreprenariat. Permettez-moi d’ajouter deux mots indispensables en soulignant la grandeur et la vision du Président Soumaïlla Cissé. Sous sa Présidence, le Tournoi de l’UEMOA a été un franc succès. Ce qui avait permis de faire progresser le football des pays comme le Niger et la Guinée-Bissau qui se sont qualifiés dans la foulée à la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations. Plus il y aura des compétitions régionales, plus il y aura de la visibilité pour les joueurs locaux.
La formation française est d’un tel niveau que peu de joueurs en provenance de l’Afrique trouvent une place au soleil en France. Le Tournoi de l’UEMOA a été une vitrine exceptionnelle pour les joueurs locaux. J’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs Chefs d’Etat. Ils accordent tous une attention toute particulière au sport dans son ensemble et au football en particulier. Le manque de résultat n’est pas de nature à les encourager. Le sport n’a pas de frontières. Et j’ai l’habitude de dire aux Chefs d’Etat de prendre une licence chez moi. Car le Sport représente la NATION. En effet, lorsque l’Equipe Nationale joue et gagne, c’est tout le pays qui est en extase.

Mileck AGBOKOU: De loin quelle lecture faites-vous sur le football national?

Éric FABRE: Vous faites bien de préciser : « de loin quelle lecture faites-vous sur le football nation? ». Et ce mot « loin » occupe la place qu’elle mérite. Ceux qui ont la charge du football national font inlassablement de leur mieux dans le cadre d’une forte respectabilité et représentativité de ce sport que nous aimons tant. Comment procéder pour donner une assise sereine et solide avec un calendrier pérenne préétabli d’une année sur l’autre à ce football national ? L’idéale pourrait être, après une étude collégiale, l’instauration et l’intégration de ce calendrier dans le planning du gotha international indispensable des grandes nations de football. Cette structuration ou si vous préférez, ce positionnement donnerait de la stabilité dans la durée et pourrait permettre une meilleure approche économique utile dans le monde sportif moderne. Enfin, construire sur le moyen et long terme demeure une des clés de l’évolution vers une projection dans le futur. Mettre les footballeurs du pays dans des conditions acceptables et surtout convenables dans un environnement favorable à la pratique du football dans sa forme actuelle contribuerait aux lendemains meilleurs de notre football. Nous devons reconnaitre et glorifier l’effort soutenu des joueurs et des présidents de clubs, qui avouons-le, évoluent dans des conditions d’une extrême pénibilité. L’avenir des équipes et l’amélioration responsable des conditions de vie de ces dernières restent étroitement liés à la politique sportive de la Fédération qui détient son pouvoir du gouvernement par délégation. Le football est-il une priorité pour le Gouvernement ? Je ne le crois pas à cause du coût onéreux par rapport à d’autres dépenses étatiques importantes et récurrentes. D’où une approche économique conséquente de recherches de ressources complémentaires devient indispensable pour la vie du football national moderne. Les résultats actuels de l’Equipe Nationale ne constituent guère un élément permettant une meilleure approche économique. Quand bien même l’Equipe Nationale demeure la vitrine objective du football national, les clubs représentent incontestablement des pourvoyeurs de joueurs. Le travail en direction des clubs devient l’élément nécessaire et indispensable pour le bien être du football national. Il convient décemment de faire confiance aux présidents des clubs et aux acteurs qui sont les joueurs d’une part et d’autre part, d’élaborer une politique quinquennale, si besoin en est, en concertation avec les présidents de clubs afin d’espérer un lendemain meilleur.

Mileck AGBOKOU: Il semblerait d’après des informations que vous êtes en lice pour les elections de la ligue de football de paris qui auront lieu le 19 decembre. Le confirmez-vous?

Eric FABRE: Parfaitement. Je suis sur la liste de Thierry MERCIER et l’élection est fixée au 19 décembre. Nous avons nos chances. Thierry Mercier est le fils de Joseph Mercier qui fut le premier technicien français envoyé en Afrique et plus précisément au Togo. D’ailleurs, TOGO Football Award l’avait distingué il y a quelques années. Le premier technicien du football français bien entendu.

Mileck AGBOKOU: ATC vous souhaite bonne chance. Voilà nous arrivons à la dernière question de cet entretien. Quelles recettes proposerez vous à court et à moyen terme au Togo votre pays d’origine qui sera une seconde fois absent à une coupe d’Afrique des Nations à 24?


Eric FABRE: Il n’y a pas de recette miracle, comme il n’y a pas de génération spontanée dans le football, ni de recette marabout. Seul le travail est gage de réussite. L’élimination prématurée des Éperviers demeure une catastrophe aussi bien pour les joueurs, le comité directeur de la Fédération et bien entendu, les amateurs du football togolais. J’ai eu, malheureusement, l’occasion d’assister à la défaite des Éperviers contre les Comores à Kégué l’année dernière. C’est vrai qu’après ce match indigne à domicile, j’avais un peu peur pour l’avenir de l’Equipe Nationale. Mais en aucun cas, je ne pensais à une élimination aussi rapide, au bout de trois matches seulement, et par conséquence prématurée. Le résultat étant là, il est impératif d’en tirer très calmement, les conclusions qui s’imposent. Ne rien faire dans la précipitation serait une solution raisonnable. La Fédération Togolaise de Football se voit condamnée de s’appuyer sur ce cuisant échec pour mieux préparer l’avenir du onze national. Force est de constater, que la répétition anormale des résultats négatifs des Éperviers, ne peut que pousser tout un chacun à vouloir chercher, et essayer de trouver des solutions aux difficultés affligeantes de la gestion calamiteuse du football des Éperviers.

Mileck AGBOKOU: Quel est votre mot de fin?

Éric FABRE: Ça été un plaisir d’échanger avec vous et dans de très bonnes conditions. Je vois l’amour que vous avez pour le sport et pour le football en particulier. Et comme je le dis le sport rassemble la politique divise rassemblons nous autour d’un projet sain, un projet sportif. Merci et à très bientôt.

Mileck AGBOKOU: Merci à vous et à la prochaine.